Apocalypse now - ft Luna

Il remonte ses lunettes chromés sur le nez, étouffe un bâillement monocorde qui fait trembler ses lèvres un bref instant. Il n’aurait pas dû passer autant d’heures sur ce livre à chercher à quel planète exactement appartenait ce collier en bronze, quelles en étaient ses attributs et ses secrets.
Et tout ça pour faire chou blanc en prime.

Il a enfilé sa gabardine noire en aveugle, des cernes violacées sous le bleu indélicat de ses yeux. L’humeur s’écrase comme ses poings au fond de ses poches. « Sale gueule » s’est-il entendu dire, un sourire désabusé aux lèvres, le reflet dans l’ascenseur le narguant de sa lucidité implacable. Et alors ? Dormir n’a jamais été une de ses passions de toute manière. Il aime bien cet état somnambule, cette grâce qui le maintient comme suspendu dans les airs, les pieds aériens sur le fil tendu de ses pensées éparses.

La rue l’agresse de ses sons cacophoniques et il ferme un instant les yeux avant de les rouvrir. Qu’est-ce qu’il fiche ici déjà ? Ah oui.  Il va se chercher du carburant, de quoi tenir, après quoi, il recommencera à chercher encore et encore et trouvera bien de quoi il s’agit et quel prix la Toralv’s pourra en tirer. Ils pourront reconstruire leur demeure enfouis sous la neige ensuite, retrouver leurs prestiges d’antan, se fendre d’une nouvelle sève et d’une nouvelle autorité. Peut-être.
Ou peut-être qu’ils investiront autrement.

Edouard fronce le nez, abaisse légèrement ses lunettes de soleil pour regarder le panneau du petit café cosy. « Latte amande, sirop de chocolat, triple chantilly. Et un café noir très fort en plus à emporter. » Rien que l’odeur du sucre le revigore, lui donne l’impression de se faire envelopper dans une barbe-à-papa savoureuse. Il paye dans une nonchalance insolente, la langue déjà lapant le surplus de crème sur le haut de sa boisson, l’autre tenant son café sobre qui finira par le réveiller pour de bon. Il murmure « délicieux » parce que ça l’est. La journée commence plutôt bien.

Et puis, le drame survient.

Un mètre soixante, quelque chose dans ce genre, il ne sait pas vraiment et s’en contrefout cordialement ; des cheveux – l’ironie frappe – en chantilly et surtout pas l’once d’une excuse sur les lèvres roses.

Un peu de crème s’est figé dans l’air en même temps qu’il a retenu sa respiration lorsqu’elle l’a percuté de plein fouet, le corps en branle et les éclairs en guise de langage dans les iris. Une seconde, deux, puis le sol. « Vous me pensiez transparent ? C’est un concept nouveau chez les fées ? » La voix gronde, curieusement calme pourtant, un peu d’électricité sur le contour des mots. Il vérifie que son sac est encore là mais le café s’est répandu, les gouttes sombres perçant à travers. Il inspire lentement, l’agacement en ondes tortueuses sous sa peau. Putain. « Ce qui est transparent par contre, ce sont vos manières, mademoiselle. » Il ne lui demande pas si elle va bien, pourquoi cet empressement, si elle fuyait quelque chose ou quelqu'un et ce malgré le fait qu’elle ne soit plus petite et plus jeune de toute évidence.

Cela lui importe peu.

Moins en tout cas que la chantilly perdue et son café éparpillé dans le sac en carton.

Une fée. Toute mignonne, toute irisée. Il manque à peine les paillettes vraiment. Edouard laisse l’employé quelque part derrière lui s’agiter et lui assurer qu’ils vont lui refaire sa boisson. « Mmmmm » Lui ne quitte pas l’étudiante des yeux, les lunettes en barrage mordorées, un peu de vilainie sucrée au coin des lèvres. « Des excuses suffiront. »

@Luna Maddox

Le nord de Magix, c'est pas vraiment ton quartier habituel quand tu viens en ville. C'est que des bâtiments - certes, très stylés - mais très business, et toi, t'as pas grand chose à y faire. Ton père t'a demandé de déposer un papier à la mairie, il était trop occupé et c'était urgent, alors tu lui as rendu service. Sauf que maintenant, t'es presque en retard pour arriver à l'école. Alors tu te dépêches et dans ta course, tu percutes malencontreusement quelqu'un.

D'abord tes yeux sont attirés par le liquide qui s'échappe de son gobelet, presque au ralenti. Puis il s'étale sur le sol et la voix masculine s'élève face à toi avant même que tu n'aies pu prendre le temps de t'excuser. « Vous me pensiez transparent ? C’est un concept nouveau chez les fées ? » Le dédain dans la voix t'indique qu'il ne fait pas parti de ta communauté. Sorcier. Le camp opposé. « Ce qui est transparent par contre, ce sont vos manières, mademoiselle. »

Pardon ? Tu hausses un sourcil, le toisant de la tête aux pieds, avant que tes iris ne reviennent se planter dans les siens. "Visiblement, la politesse est un concept nouveau chez les Sorciers." Tu marques une courte pause, fais mine de réfléchir, avant de reprendre. "Ah non, en fait, il a jamais existé pour vous." C'est hallucinant ça, cette façon qu'ils ont de se penser toujours supérieurs au reste du monde.

« Des excuses suffiront. » Là, tu peux pas t'empêcher de lâcher un rire à la fois mauvais et moqueur. "Tu m'as prise pour qui ?" T'es bien gentille et sociable, Luna - mais pas face à eux. Eux, envers qui tu voues une haine infinie. Ils ont tué ta mère. Comment tu pourrais les apprécier ? Ni même ne serait-ce que leur accorder le bénéfice du doute ? "Je m'excuserai pas face à quelqu'un de ton genre." Le pire, c'est que s'il avait pas été désagréable en premier, tu te serais sûrement excusée et tu l'aurais lâché. Mais là, t'es pas du genre à te démonter.

La fée désapprouve.

Elle lève le menton, se drape d’une dignité autoritaire, se fige dans une colère sainte. Ah, les fées. Edouard jubile, un sourire en filigrane derrière l’indécrottable suffisance. « Visiblement, la politesse est un concept nouveau chez les Sorciers. » Il cille sans se départir de son sourire. Des murmures vrombissent tout autour. Il ne fait pas bon être sorcier, ici ou ailleurs. Et il sait que les chuchotements vont enfler, comme une brise qui se fait tempête. « De mon genre ? Vous connaissez bien les sorciers ? » Il promène un regard effronté sur la silhouette drapée de tissu, comme une insolence supplémentaire. « Je doute qu’une petite fée ait ce type de fréquentation … c’est une invitation ? » Il s’approche, un peu d’électricité crépitant sur l’épiderme – à dessein, le firmament en éclairs disparates au creux de ses mèches châtains. On ne les voit pas mais elles chargent l’atmosphère, étire l’air d’une tumultueuse frénésie. « Tu ? » Il interroge l‘irisée, un peu d’incrédulité dans le grave de la voix. Elle le tutoie, du dédain plein la mâchoire, dans une envolée vaniteuse. Comme s’il pouvait se sentir chagriné par son opinion. Oh. « C’est votre café qui est par terre, votre majesté ? » fait-il remarquer sombrement.

Il pourrait s’en laver les mains en vérité. Il sait que déjà son americano est en train d’être remplacé, que le mot de sorcier a été craché à plusieurs reprises par certains clients apeurés et qu’il ne sert donc à rien d’insister. Mais elle baigne dans l’orgueil face à lui, de l’impudence plein la langue, les poings serrés, le corps en arc.

C’est si ravissant.

« Eh bien miss-je-ne-regarde-pas-devant-moi. » Il glisse son visage vers le sien, accroche ses iris aux siens dans une irrévérence scélérate. « Ce n’est pas très joli de ne pas prendre ses responsabilités. » Les mots sont seulement pour elle, le chuchotement fourbe, les propos faussement doucereux.

@Luna Maddox

Certes, c'est ta faute si tu l'as bousculé. C'est toi qui lui es rentrée dedans. Sauf que tu te serais excusée. S'il n'avait pas ouvert sa grande bouche avant même que tu puisses relever les yeux sur lui. Sauf qu'il t'a pas laissé le temps, il a préféré se la jouer bougon et mauvais. Mais toi aussi, tu peux riposter. Parce que, si lui a l'air d'avoir une réelle aversion pour les Fées, il en est de même chez toi envers les Sorciers. Un combat sans fin, condamné à ne jamais avoir de gagnant puisqu'aucun côté en voudra céder.

Le pire, c'est qu'il te commande de t'excuser. Sauf que non, tu ne te mettras pas à genoux devant lui, il peut toujours rêver. « De mon genre ? Vous connaissez bien les sorciers ? » Et ce vouvoiement prétentieux qui se veut faussement supérieur, t'aimes pas ça non plus. « Je doute qu’une petite fée ait ce type de fréquentation … c’est une invitation ? » Tu fronces les sourcils, recules d'un pas quand il en fait un vers toi. Pas menacée ni impressionnée, juste une distance de sécurité que tu t'imposes face aux Sorciers - imprévisibles et chaotiques. « Tu ? » Tu ressens la tension dans les airs, elle est clairement palpable. Ça sent l'orage.

Et quand il s'approche de toi, beaucoup trop près, à tel point que tu sens son souffle contre ton visage, tu serres les poings . "Ne me touche pas." Quelques chaises se mettent à trembler à l'intérieur du café où vous vous trouvez, tes pupilles qui s'illuminent légèrement d'une teinte violet. "Recule." La rage qui bouillonne en toi de te dire que ce Sorcier ose te défier. T'es pas surprise, c'est comme ça qu'ils fonctionnent eux, toujours dans l'affrontement. Mais toi, il faut te calmer. Ne pas te laisser régir par des pensées négatives. Encore moins quand t'utilises ton pouvoir. Tu voudrais surtout pas tomber du mauvais côté.

Alors tu fais preuve de maturité, contrairement à ton adversaire, et tu recules encore d'un pas. "C'est bien pour ça que vous êtes les pires de l'humanité. Toujours à provoquer, à vouloir vous battre pour tout et rien. Au moins, nous, on sait faire preuve de suffisamment de contrôle, de respect et de maturité pour éviter de laisser un champ de bataille sur notre passage." Littéralement. C'est pas vous qui avez provoqué la guerre d'il y a seize ans. C'est eux.